Copyright 2024 - AdlC - CdP

Vote utilisateur: 4 / 5

Etoiles activesEtoiles activesEtoiles activesEtoiles activesEtoiles inactives
 

Index de l'article


 

Nous reproduisons l’article de Marcel Deprez, paru dans « La Lumière Électrique » du 21 septembre 1889. (1ère insertion)

La Lumière Électrique Journal universel d’Électricité

La Lumière Électrique

Journal universel d’Électricité

31, Boulevard des Italiens Paris

DIRECTEUR : Dr CORNELIUS HERZ

IIe ANNEE (TOME XXXIII) Samedi 21 SEPTEMBRE 1889 N° 38


SOMMAIRE

  • Sur une application de la transmission électrique de la force faite à Bourganeuf ; Marcel Deprez.
  • Le nouveau télégraphe multiple imprimeur de M. J. Munier ; P. Samuel.
  • La Théorie moderne de la constitution des solutions électriques ; Svante Arthénius.
  • Les ponts roulants de l’Exposition ; E. Dieudonné.
  • Applications de l’électricité aux chemins de fer ; E. de Baillehache
  • Leçon de chimie ; Adolphe Minet.
  • Chronique et revue de la presse industrielle : Allemagne ; Etats-Unis.
  • Revue des travaux récents en électricité : Expériences relatives aux phénomènes produits dans des conducteurs par le passage des décharges de condensateurs, par MM. Courtot et Lagrange.
  • Perméabilité des aciers doux.
  • Modèle d’agitateur pour les appareils électrolytiques de M. Klobukow.
  • L’annonce électrique du voisinage des glaçons flottants.
  • Balancier anti-magnétique pour montres et chronomètres.
  • Correspondance : Lettres de MM. Richard frères et de MM. Estannié et Brylinski.
  • Faits divers

 


SUR UNE APPLICATION

DE LA TRANSMISSION ÉLECTRIQUE

DE LA FORCE FAITE À BOURGANEUF

Dans la dernière séance de l’Académie j’ai annoncé en quelques mots le succès complet de la première application pratique qui ait été faite de la transmission de la force à grande distance au moyen de hautes tensions conformément aux principes que j’ai mis en lumière et dont j’ai poursuivi la démonstration expérimentale depuis 1881. Je crois inutile de retracer les progrès successivement réalisés depuis cette époque et constatés par des commissions choisies au sein de l’Académie. Je rappellerai seulement combien mes théories et mes expériences ont été violemment attaquées ; comment, après les avoir déclarées absurdes, mes adversaires, contraints d’en reconnaître l’exactitude, prétendirent qu’elles ne sortiraient jamais du laboratoire. L’expérience de Creil démontra la possibilité d’un fonctionnement industriel, mais ne constituait pas une application pratique. Elle fut, peut-être parce que l’on sentait qu’une faible distance me séparait du but à atteindre, l’objet d’attaques encore plus violentes que celles qui l’avaient précédées.

Les uns prétendirent qu’elles étaient la condamnation définitive de la force à grande distance ; d’autres qui avaient solennellement déclaré qu’elles « ne réussiraient même pas pendant une heure » essayèrent d’en amoindrir la portée en la répétant un an après dans des conditions qui la dénaturaient complètement. D’ailleurs, et j’ai hâte de le dire, aucune des expériences faites avant ou après celle de Creil ne peut lui être comparée ni par la grandeur du travail, ni par la tension du courant, ni par la distance, ni enfin par la rigueur des procédés employés pour mesurer le travail absorbé par la génératrice. Une réserve doit être faite pourtant quant à ce dernier point en ce qui concerne les expériences faites en Suisse en 1887, sur une distance de 8 kilomètres et où le travail dépensé au départ fut mesuré grâce à un procédé que j’ai exposé devant le Congrès officiel des électriciens en 1881 et que j’ai expérimenté peu de mois après sur une machine Gramme transformée. Ce procédé, qui consiste à rendre mobiles les inducteurs de la machine en les montant sur des couteaux et à mesurer le couple auquel ils sont soumis pendant la marche, est certainement le plus rigoureux qu’on puisse employer.

Avant d’arriver au sujet de cette communication je crois devoir mentionner la dernière des expériences qui ait eu lieu entre Creil et Paris le 6 août 1886, quelques jours après la lecture du rapport de notre savant confrère M. Maurice Lévy et qui n’a jamais été publiée. Il s’agissait de voir quelle était la limite du travail utile que l’on pouvait recevoir à Paris, en faisant marcher, à outrance, la génératrice située à Creil. Le travail mesuré au frein de la réceptrice dépassa 80 chevaux, tandis que, à Creil, le travail fourni par la génératrice et mesuré par le dynamomètre était de 165 chevaux. La force électromotrice de la génératrice dépassa neuf mille volts. Malheureusement un fil se rompit à la réceptrice et cette rupture provoqua des désordres qui mirent fin à l’expérience. Plus tard, il fut établi que la génératrice aurait pu développer onze mille volts sans accident, mais la ligne destinée à la transmission de la force n’existant plus, aucune expérience ne put être faite. Je ferai remarquer que ces tensions dépassent de beaucoup celle de 6 300 volts qui est mentionnée dans le rapport de M. Maurice Lévy et qui est cependant elle-même très supérieure aux tensions les plus hautes atteintes aujourd’hui dans l’industrie.

L’expérience de Creil terminée, les controverses violentes qu’elle avait soulevées s’apaisèrent peu à peu et, un certain temps s’écoulant sans que l’on vît surgir d’applications, le bruit se répandit (d’ailleurs habilement propagé et entretenu par certaines personnes) qu’elle n’avait été qu’un tour de force très coûteux, presque impossible à reproduire et duquel ne sortirait jamais rien d’utile.

Il faut reconnaître d’ailleurs que, bien qu’elle marquât un progrès considérable dans l’histoire de la transmission électrique de la force, elle constituait une expérience mais non une application pratique. Pour en arriver là, de nombreux problèmes de détails restaient à résoudre ; il fallait d’abord abaisser le prix des machines, il fallait rendre les manœuvres de mise en marche, de régulation de vitesse et d’arrêt si faciles qu’un ouvrier ordinaire pût les exécuter sans hésitation et sans danger ; il fallait se mettre à l’abri des dangers de la foudre et des extra-courants, ces autres coups de foudre auxquels aucun isolant ne résiste et qui mettent instantanément les machines hors de service. Il fallait encore organiser un système de signaux permettant aux postes de la réceptrice et de la génératrice de communiquer de manière que le 1er pût donner au 2e des ordres rapides, précis, faciles à transmettre et à exécuter presque instantanément, sans hésitation et sans trouble.

Je puis dire qu’aujourd’hui tous ces problèmes sont résolus et que la preuve en est dans l’installation de Bourganeuf, qui fonctionne avec un succès complet depuis plusieurs mois.

La ville de Bourganeuf (Creuse) possède depuis deux ans un système d’éclairage électrique qui a été installé par deux hommes dont le nom mérite d’être mentionné ici, ce sont MM. Bonnin, industriel, et Misme, ancien contre-maître d’usine. Ils établirent une turbine actionnée par une chute d’eau située dans la ville même, une machine dynamo-électrique système Thury et tout le réseau de conducteurs destiné à l’éclairage des rues et des particuliers au moyen de lampes à incandescence.

On voit que la ville de Bourganeuf est de beaucoup en avance au point de vue de l’éclairage électrique sur la ville de Paris elle-même. Malheureusement, la chute d’eau employée se trouvait fréquemment à sec pendant l’été de sorte que le secours d’une machine à vapeur était nécessaire. Or les environs de la ville sont riches en chutes d’eau qui ne tarissent jamais et dont l’une des plus belles est la chute des Jarrauds, située à Saint-Martin-le-Château, à 14 km de Bourganeuf.

La municipalité de la ville résolut de l’utiliser et s’adressa à la Société pour la transmission de la force par l’électricité, pour lui demander son concours. Ses propositions furent acceptées et c’est ainsi que fut décidée l’application dont je vais avoir l’honneur d’entretenir l’Académie.

Je vais décrire maintenant toute l’installation depuis la chute d’eau jusqu’aux machines à basses tensions qui produisent la lumière.

Chute d’eau – Elle est produite par la rivière la Maulde dans un site très pittoresque nommé Les Jarrauds, à une faible distance de Saint-Martin-le-Château. La quantité d’eau que débite la chute, même en été, étant très supérieure à celle dont on a besoin, une partie de cette eau est amenée du niveau supérieur à l’endroit où est la turbine au moyen des conduites en fonte de près de 1 mètre de diamètre. La différence du niveau est de 31 mètres. La turbine est à axe horizontal, sa puissance maxima est de 130 chevaux, elle est située au rez-de-chaussée du bâtiment des machines et transmet son mouvement à la machine dynamo directement par une courroie. La vitesse maxima de la turbine est de 150 tours par minute et celle de la génératrice de 650 tours. Il existe un régulateur de vitesse agissant sur la vanne de la turbine mais son action n’est ni assez rapide, ni assez précise et on a dû le supprimer. Ce point a une certaine importance, comme on le verra plus loin.

Machine génératrice – Elle est de la force nominale de cent chevaux et a deux anneaux égaux montés sur le même arbre et excités par deux inducteurs rectilignes parallèles à l’axe de rotation. Les pôles sont alternés et il n’y a pas de culasse. C’est un type que j’ai réalisé pour la première fois dans mes petits moteurs électriques et que j’ai appliqué ensuite en 1881 à une machine remarquable par son faible poids spécifique. Je l’ai généralisé et appliqué à toutes les puissances depuis ½ cheval jusqu’à cinq cents chevaux. Cette disposition présente des avantages que je ferai ressortir dans une note prochaine.

Qu’il me suffise de dire que j’ai pu, grâce à elle, construire une machine qui pèse moins de 300 kilogrammes et développe une puissance de 12 chevaux sans que la densité du courant ni la vitesse de la machine soient poussées au-delà des limites admises dans les machines similaires employées dans l’industrie.

Comme dans l’expérience de Creil, les inducteurs de la génératrice sont excités à part, au moyen d’une machine à basse tension qui fournit un courant de 18 ampères avec 90 volts aux bornes. La puissance nécessaire pour créer le champ est donc un peu supérieure à 2 chevaux.

La résistance de chaque anneau est de 2 ohms et la force électromotrice engendrée est de 5 volts et peut même atteindre 5,5 volts pour une vitesse de un tour par minute.

Le diamètre du fil induit est égal à 2,2 mm. Il forme sur l’anneau quatre couches. L’anneau peut supporter sans inconvénient 25 ampères pendant une marche prolongée.

Ligne –Elle est composée de deux fils (l’un pour l’aller et l’autre pour le retour du courant) posés sur des poteaux en sapin garnis d’isoloirs en porcelaine. Le fil est nu et son diamètre est de 5 millimètres, il est en bronze siliceux. La résistance de la ligne est de 23 ohms pour 14 kilomètres. Son isolation est pratiquement infinie même après des pluies prolongées.

Réceptrice – Elle est identique à la génératrice et, comme elle, excitée à part. Mais il a fallu employer un artifice particulier pour lui permettre de démarrer puisque à l’état de repos son champ magnétique entretenu par la machine à lumière est nécessairement nul, cette dernière ne tournant pas. Cet artifice consiste dans l’emploi d’accumulateurs (qui, en cas d’accident, servent à éclairer la ville) dont le courant est lancé dans les inducteurs de la réceptrice au repos.

Elle peut alors entrer en mouvement sous l’influence de courant de haute tension et lorsqu’elle a acquis la vitesse convenable, la machine à lumière qu’elle met en mouvement donne un potentiel assez élevé pour engendrer dans les inducteurs le courant nécessaire à leur excitation.

Ce potentiel (130 volts) étant égal à celui des accumulateurs, il suffit de tourner un commutateur qui substitue instantanément le courant de la machine à lumière à celui des accumulateurs, pour que le mouvement s’entretienne indéfiniment sans le secours de ceux-ci.

La vitesse normale de la réceptrice est connue à chaque instant au moyen d’un tachymètre Buss, elle est habituellement inférieure à 500 tours environ par minute et reste invariable pendant de longues périodes de temps. Mais quand cela est nécessaire, pour des raisons que nous expliquerons tout à l’heure, on la fait monter à 500 tours et au-delà, au moyen du rhéostat liquide intercalé dans le circuit de haute tension.

Cet instrument permet d’introduire graduellement, quoique rapidement, dans le circuit des deux machines génératrice et réceptrice une résistance, variant depuis quelques ohms jusqu’à plusieurs milliers d’ohms, constituée par une colonne d’eau pure constamment renouvelée. Les services que peut rendre ce rhéostat sont considérables ; grâce à lui j’ai pu résoudre simplement et pratiquement le problème de la distribution des courants de très haute tension, j’ai pu rompre et fermer plus de 20 fois par minute le courant de ma grande machine de Creil, alors que l’intensité était de 15 ampères, et la différence de potentiel de 5 000 volts, sans causer aucune détérioration, ni dans les anneaux, ni dans les collecteurs, et cependant les anneaux contenaient plus de 10 000 spires et plusieurs centaines de kilogrammes de fer et avaient une self-induction énorme.

Lorsqu’on veut faire varier la vitesse de la réceptrice, on augmente ou on diminue par la manœuvre d’un levier la résistance du rhéostat liquide, et l’on obtient immédiatement l’effet cherché ; mais il en résulte une variation dans l’intensité du courant et par conséquent dans le couple résistant de la génératrice dont la turbine, comme nous l’avons dit, n’a pas de régulateur. Il faut donc agir à la main sur la vanne pour maintenir constante la vitesse de la génératrice. Avec un peu d’habitude et de soin, on y arrive facilement, d’autant plus que le préposé à la génératrice est prévenu par une sonnerie de la manœuvre qu’il va avoir à faire, avant même qu’il en ait reconnu lui-même la nécessité.

Vous n'avez pas le droit de mettre des comentaires
You have no rights to post comments

Nous avons 1856 invités et aucun membre en ligne

f t g m

Recherche sur le site

Calendrier des évènements:

Avril 2024
D L Ma Me J V S
31 1 2 3 4 5 6
7 8 9 10 11 12 13
14 15 16 17 18 19 20
21 22 23 24 25 26 27
28 29 30 1 2 3 4

Connexion