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La Lumière Électrique (Suite)

Ce rhéostat permet de maintenir l’intensité d’un contact quelconque rigoureusement constante pendant des heures entières ; il m’a permis d’étudier des phénomènes curieux que je communiquerai dans une note spéciale. Enfin il démontre péremptoirement que l’eau a une conductibilité propre qui augmente considérablement avec la température (Elle varie dans le rapport de 3 à 1 pour une variation de température moindre que 100 degrés).

Machines à lumière – Elles sont au nombre de deux. Construites par la maison Bréguet, elles sont du type Gramme et capables de donner chacune 110 volts et 250 ampères. Toutefois, comme la tension de 110 volts serait insuffisante, on les fait marcher à une vitesse plus grande que celle indiquée par les constructeurs, et on obtient 130 volts. Elles sont mises en mouvement par des courroies entraînées par les poulies de la réceptrice. Ces machines sont excitées en dérivation, la résistance de leurs inducteurs est de 13 ohms et peut être augmentée au moyen d’un petit rhéostat métallique.

Dans l’état actuel de l’éclairage une seule des machines suffit, mais dans les essais préliminaires on les a fait marcher toutes les deux, en faisant produire à chacune d’elles 110 volts et 200 ampères. Le travail utile en lumière était donc de 60 chevaux tandis que le travail électrique de la génératrice mesuré aux bornes était de 96,5 chevaux. Or des expériences dynamométriques très soignées et très nombreuses que j’ai faites à Creil, sur des machines identiques à la génératrice, ont démontré que le coefficient de transformation commercial de cette machine est très voisin de 0,9, c’est-à-dire qu’il faut dépenser sur l’arbre un travail de 100 chevaux mesurés au dynamomètre pour obtenir 90 chevaux électriques utilisables aux bornes. Donc, dans l’expérience précitée, la génératrice ne devrait pas absorber un travail mécanique supérieur à 108 chevaux, ce qui donne un rendement commercial de 0,55. Cela signifie que pour obtenir 55 chevaux en lumière à Bourganeuf il faut que la turbine située à Saint-Martin donne 100 chevaux.

Actuellement, les machines ne travaillant pas à pleine puissance, j’estime que le rendement journalier est seulement de 0,50, mais que l’on pourrait atteindre, moyennant quelques modifications un rendement en lumière de 0,60. Quand on réfléchit que ce rendement est obtenu après trois transformations successives du travail mécanique en travail électrique ou réciproquement, et qu’il comprend en outre le travail perdu dans la ligne, on doit le considérer comme très satisfaisant.

Maintenant, on peut demander pourquoi, le but final étant l’éclairage on ne s’est pas décidé à employer des courants alternatifs et des transformateurs, ou tout au moins pourquoi on n’a pas employé de procédé plus élégant sinon plus simple que de produire à Bourganeuf une puissance mécanique pour l’employer à faire tourner au moyen de courroies des machines à lumière. La solution adoptée paraît au premier abord quelque peu barbare. Je répondrai à cela :

1° Que le temps pressait et que les machines à haute tension et à courant continu étaient prêtes et avaient fait leurs preuves ;

2° Que l’on pouvait utiliser ainsi n’importe quelle machine à lumière existante ;

3° Que la ville de Bourganeuf était dans l’intention d’employer le courant au réseau d’éclairage à la production de la force aussi bien que de la lumière, et même d’employer directement et sans transformation une partie du travail de la réceptrice à mettre une usine en mouvement ;

4° Enfin que les habitants étaient accoutumés à l’usage de courants continus qui ne donnent que des secousses très supportables quand on vient à toucher des pièces métalliques avec lesquelles ils sont en rapport et qu’il est loin d’en être ainsi avec les courants alternatifs.

Appareils accessoires – Signaux – Instruments de mesures – Parafoudres. –Les deux postes sont reliés par une double ligne téléphonique ; mais pendant la marche des machines, l’emploi du téléphone est impossible en raison du bruit de ces dernières ; son usage ne serait d’ailleurs pas assez rapide, car les phénomènes que présentent les machines à haute tension en cas d’irrégularité dans leur marche, deviennent si rapidement menaçants que des accidents graves pourraient se produire avant même que l’on eût terminé les préliminaires auxquels donne toujours lieu une conversation téléphonique. J’ai donc adopté l’usage des signaux conventionnels produits par une simple sonnerie dont les roulements rythmés d’une certaine façon se prêtent à une grande variété en même temps qu’à une grande netteté dans les signaux.

Mon code de signaux se réduit d’ailleurs à cinq roulements différents qui répondent à toutes les manœuvres que l’on peut avoir à faire…et je dois dire qu’il fonctionne admirablement et inspire aux hommes une grande confiance, en leur donnant l’illusion qu’ils sont près l’un de l’autre, tandis que la première impression que l’on ressent en face d’une transmission de force par l’électricité est l’impossibilité de se faire obéir rapidement du poste de la génératrice ou réciproquement, d’où résulte un état continuel d’hésitation et d’inquiétude réellement pénible et d’ailleurs nuisible au service.

J’ai entendu soutenir l’opinion que l’on devrait marcher sans signaux et s’en remettre en tout au fonctionnement d’appareils automatiques tels que régulateurs du courant, régulateurs de vitesse, régulateurs de potentiel, etc. Cela est vrai, quand on a une usine centrale dans laquelle une génératrice unique qui distribue la force à plusieurs réceptrices indépendantes ; mais dans un pays aussi sauvage et aussi dénué de ressources que celui où est situé la génératrice, il est nécessaire comme dans l’exploitation des chemins de fer de réduire au minimum le nombre d’appareils employés et de demander au personnel une part d’initiative sans laquelle il n’y a plus de responsabilité ni de sécurité réelles.

Le personnel définitivement employé dans l’installation de Bourganeuf se réduit à deux agents mariés résidant : l’un à Saint-Martin, l’autre à Bourganeuf ; le premier est un simple ouvrier, le second un ancien agent des lignes télégraphiques. J’ajouterai que le bâtiment de la turbine est entouré d’escarpements presque à pic et qu’on n’a pu y amener les machines qu’au prix de grands efforts. Le village le plus rapproché est d’un accès si difficile que, en cas de mauvais temps, le gardien de la génératrice doit s’approvisionner pour plusieurs jours ; en un mot son existence ne peut être comparée qu’à celle d’un gardien de phare. Tous ces détails sont nécessaires pour établir jusqu’à l’évidence que nous sommes bien ici en présence d’une application absolument pratique. Mais avant de réduire le nombre des agents à cette limite extrême, on a dû envoyer à Bourganeuf un nombre d’ouvriers notablement supérieur à ce qui était strictement nécessaire, car il fallait l’éducation complète de tous ceux qui devaient y rester, réparer les accidents qui pouvaient se présenter à l’origine, etc.

Les instruments de mesure pour l’intensité sont des ampèremètres Deprez-Carpentier et, pour la tension, des électromètres apériodiques de Carpentier gradués à Creil jusqu’à 4 000 volts au moyen de la grande machine qui a servi aux expériences de 1886 et qui depuis a permis de faire une foule d’expériences pour lesquelles elle a rendu de grands services* en raison de la facilité avec laquelle elle pouvait donner de très hautes tensions.

Les parafoudres sont, comme leur nom l’indique, destinés à mettre les machines à l’abri des accidents que pourraient provoquer les orages dans ce pays où ils sont très fréquents et très violents. Ils ont aussi pour but de protéger les anneaux contre les conséquences funestes des extra-courants qui, dans les machines à haute tension contenant beaucoup de fer et beaucoup de spires, acquièrent une tension énorme et perforent les isolants les plus épais. Dans les deux cas, qu’il s’agisse de la foudre ou d’un extra-courant, l’instrument, grâce à une disposition particulière, offre à la décharge le chemin le moins résistant possible et limite à une valeur déterminée l’intensité du courant local fermé accidentellement à travers l’anneau, le tout sans qu’il soit nécessaire d’avoir recours à aucun organe mécanique.

Accumulateurs – Le poste de réceptrice contient 60 (leur nombre vient d’être porté à 70) accumulateurs que l’on charge tous les jours pendant la matinée en faisant tourner les machines tout exprès. Ils servent comme je l’ai dit plus haut à créer le champ magnétique initial nécessaire au démarrage de la réceptrice et forme une réserve précieuse dans le cas où une cause imprévue forcerait à arrêter les machines pendant le cours d’une soirée.

* - Cette machine vient d’être démontée pour cause de déménagement.

A l’état normal, et, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ils sont complètement séparés des machines à lumière de manière que l’on n’ait pas à se préoccuper des variations de vitesse de celles-ci, variations qui auraient des inconvénients si les accumulateurs étaient constamment en communication avec elles. Malgré cela, l’éclairage est très régulier et la différence de potentiel aux bornes de la canalisation ne présente pas de variations supérieures à deux volts sur 125 ou 130. Les seules variations sont celles que l’on produit volontairement quand on allume ou qu’on éteint d’un seul coup une grande partie des lampes de la ville. Le mouvement de rotation des machines étant produit par des forces invariables et les masses en mouvement étant toutes animées de vitesses constantes, il en résulte que la lumière produite est absolument fixe et que les voltmètres n’accusent pas ces oscillations que l’on constate chaque fois que le mouvement et produit par une machine à vapeur et surtout par un moteur à gaz.

Les accumulateurs n’ont été utilisés pour l’éclairage de la ville que dans deux circonstances où les machines n’ont pas fonctionné et cette interruption de service a été due chaque fois à des orages. La première fois les deux postes ont été foudroyés simultanément ; les parafoudres n’avaient pas encore été posés et les sonneries servant à la transmission des signaux furent mises hors de service ; la réceptrice elle-même subit des avaries dans les inducteurs sans que le rôle de la foudre dans cette circonstance pût être bien élucidé. La violence des coups de foudre dans l’intérieur des postes avait été telle qu’il ne fallait plus espérer du personnel aucun service utile en cas d’orage. On se serait heurté à un refus péremptoire. L’emploi des parafoudres s’imposait et j’en fis construire quatre, deux pour la ligne téléphonique, deux pour la ligne télédynamique, ces deux derniers munis en outre du dispositif auquel j’ai fait allusion et qui a pour but de protéger la machine contre les extra-courants. Je pensais que ces appareils inspireraient pleine confiance aux agents chargés de la conduite des machines et qu’ils ne se laisseraient plus effrayer par les orages qui pourraient survenir. Il y a peu de temps un orage éclata ; pendant trois quarts d’heure les parafoudres furent le siège de décharges violentes sans que l’on cessât de marcher, mais les signaux n’étaient plus transmis régulièrement. Quoiqu’il ne fût survenu aucun accident, on ne crut pas pouvoir continuer. On arrêta et on acheva la soirée avec les accumulateurs. Je dois dire que la canalisation de l’éclairage elle-même a été frappée de la foudre et qu’elle va être munie d’appareils protecteurs.

Résultats pratiques. Conclusions. Ainsi que je l’ai dit plus haut, avant d’être envoyé à Bourganeuf, la génératrice, la réceptrice et les deux machines à lumière ont été montées à Creil et l’on a reproduit aussi fidèlement que possible toutes les conditions de la marche réelle en remplaçant la ligne par une ligne artificielle dont la résistance est connue à chaque instant par la chute de potentiel qu’elle produit. Les essais durèrent plus d’un mois et on les termina par un essai qui dura pendant vingt quatre heures consécutives sans arrêt. Le travail maximum utilisable aux bornes des machines à lumière atteignit 60 chevaux (112 volts 410 ampères) avec 22 ampères sans la ligne et 3 750 volts aux bornes de la génératrice.

Le rendement inducteur en lumière était donc égal de 0,50 de la force fournie à la génératrice, mais le rhéostat représentant la ligne avait une résistance de 30 ohms au lieu de 23. Dans une autre expérience, les machines à lumière donnèrent 376 ampères et 115 volts tandis qu’on avait3 550 volts et 20 ampères aux bornes de la génératrice et 25 ohms dans la ligne. Le rendement industriel était alors de 0,55 comme il est facile de s’en assurer en admettant 0,9 pour le coefficient de transformation industrielle de la génératrice, coefficient mis hors de doute par des expériences très nombreuses et très précises que j’ai faites et qui ont montré que le travail perdu sous forme de chaleur dans les anneaux et les inducteurs de cette machine pourrait descendre facilement au-dessous de 5% du travail mécanique total.

Nous revenons à Bourganeuf ; l’éclairage actuel de la ville ne comporte pas l’utilisation de la puissance de 62 chevaux dont je viens de parler car il n’y a que 250 lampes à incandescence et la différence de potentiel aux bornes de la canalisation est de 130 volts comme je l’ai déjà dit, aussi n’aurait-on pas employé des machines capables de développer cent chevaux et plus si l’on n’avait pas eu en vue de satisfaire dans un avenir prochain à l’accroissement de l’éclairage et aux applications de la force motrice.

Les machines génératrices et réceptrices n’utilisent donc pas actuellement beaucoup plus de la moitié du courant qu’elles devraient utiliser à pleine puissance, mais la première marche a une tension qui dépasse fréquemment 3 000 volts ; je l’ai vue marcher moi-même à près de 4 000 pendant toute une soirée où les plaques du rhéostat liquide avaient été trop écartées, et depuis le mois d’avril, cette machine soumise aux plus rudes épreuves n’a éprouvé qu’une seule avarie.

Je citerai, parmi les incidents qui aurait pu la détériorer très gravement et qui ont montré combien elle est robuste, des arrêts brusques dus à des fermetures en court circuit provoqués intempestivement par le rhéostat liquide alors que la machine donnait plus de 3 000 volts. La résistance opposée au passage du courant tombait ainsi subitement au-dessous de 5 ohms et l’intensité instantanée du courant atteignait plusieurs centaines d’ampères ; or, l’effet tangentiel cherché sur les anneaux atteint 400 kilogrammes pour 20 ampères ; on juge de l’intensité formidable de l’effort mécanique exercé sur les anneaux et de la violence des étincelles aux balais dans cette circonstance. Le résultat fut tel que la turbine et son volant de 2, 50 m. de diamètre animés au moment de l’accident d’une vitesse d’au moins 120 tours par minute furent comme cloués sur place.

Des spectateurs affolés par l’éclat et le bruit strident des jets de feu jaillissant des balais voulaient absolument prendre la fuite. Vérification faite, anneau et collecteur étaient intacts. Ce fait se renouvela trois fois sans amener aucune avarie. De fait, la génératrice n’a donné lieu depuis le mois de mai qu’à un seul accident arrivé au collecteur.

La réceptrice, quoique travaillant à une tension et à une vitesse moindres a donné lieu à trois accidents dont deux étaient dus à des vices de construction, et le troisième à une fausse manœuvre.

Il est bon de remarquer d’ailleurs que ces accidents se sont produits dans le commencement alors que le personnel était moins expérimenté. La marche est maintenant d’une régularité absolue et plus belle que celle de beaucoup de machines à basse tension.

Elle est de 5 heures par nuit et il y a peu de temps encore elle était aussi de cinq heures pendant la journée pour charger les accumulateurs. Mais récemment, il a paru préférable pour ces derniers de réduire la durée de cette opération à une heure, de sorte que la durée journalière du fonctionnement n’est plus que de six heures. Il s’est présenté des circonstances où, en raison de fêtes locales, l’éclairage a duré toute la nuit.

En résumé, l’installation de Bourganeuf démontre d’une manière irréfutable que la transmission de la force par l’électricité au moyen de courants continus de haute tension est applicable dans les circonstances les plus difficiles, dans les pays les plus dénués de ressources industrielles et qu’elle peut satisfaire à toutes les exigences d’un service public en employant des machines très rustiques et un personnel très réduit.

Ce personnel doit, à la vérité, satisfaire à certaines conditions morales : il doit être choisi avec soin, mais les qualités qu’on est en droit d’exiger de lui ne sont pas nouvelles dans l’industrie, car on les trouve réunies à un haut degré dans le personnel des chemins de fer.

Je n’ai pas à examiner ici le côté économique de la question. Je me contente de rappeler :

1° Que les machines génératrices et réceptrices pèsent actuellement 6 000 kilogrammes pour cent chevaux et que ce chiffre peut être abaissé de beaucoup ;

2° Que le travail industriellement utilisable sur l’arbre de la réceptrice à haute tension et avant sa transformation est au moins égal aux soixante centièmes du travail de la turbine.

3° Que la ligne est exactement semblable à une ligne télégraphique ordinaire à l’exception du métal qui constitue le fil.

Ces renseignements suffiront pour calculer la valeur économique du système dans les conditions les plus défavorables, car avant peu on aura dépassé de beaucoup le chiffre de 3 000 volts qui fixe le prix du fil de ligne et le rendement et, d’autre part, je puis avancer comme certain que le prix des machines de mon système peut être abaissé beaucoup au-dessous de cent francs par cheval. J’ai fait à cet égard une expérience décisive en faisant construire la machine électrique la plus puissante de l’Exposition elle est de la force nominale de 500 chevaux et marche à la vitesse de 300 tours par minute. Elle fera l’objet d’une prochaine communication.

L’installation de Bourganeuf, si modeste qu’elle soit, marque un pas décisif dans l’utilisation des forces naturelles ; elle m’a paru à ce point de vue digne de l’intérêt de l’Académie envers laquelle j’ai pris après l’expérience de Creil une sorte d’engagement moral que je tiens aujourd’hui

Je ne saurais terminer cette note sans adresser mes remerciements à ceux de mes collaborateurs qui m’ont accompagné à Bourganeuf et qui ont fait preuve d’une ténacité et d’un dévouement que rien n’a pu décourager. Ce sont M. Beneteau l’intelligent et habile chef de l’atelier de Creil, M. de Villy ingénieur électricien, et les deux ouvriers monteurs MM. Rabot et Landigeois.

Marcel Deprez

 


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